L’Est parisien, nouvel eldorado de la gastronomie

Une génération de jeunes chefs qui remixe la cuisine de bistrot s’est installée dans les quartiers est de la capitale.

Entre déco épurée, tarifs accessibles et assiettes raffinées, la gastronomie parisienne est en pleine mutation.

De gauche à droite, Simone Tondo (Roseval), Inaki Aizpitarte (Chateaubriand) et Tatiana Levha (Servan). © Yann Rabanier pour Télérama
De gauche à droite, Simone Tondo (Roseval), Inaki Aizpitarte (Chateaubriand) et Tatiana Levha (Servan).
© Yann Rabanier pour Télérama

Il est loin, le temps où le Nord-Est de la capitale était un no man’s land pour les papilles en quête de sensations fraîches. Plus un mois sans que le petit monde des « foodies » bruisse d’une adresse où courir d’urgence dans le « far east » parisien, ces XIe, Xe, XXe arrondissements devenus eldorado pour les jeunes cuisiniers qui y plantent leur couteau. A l’est du nouveau ? C’est là, en tout cas, que s’agitent les hérauts d’une néo-gastronomie tendance guide “Fooding”, cool, accessible et décomplexée, celle qui a envoyé au panier à linge sale les nappages amidonés du Michelin. Ils s’appellent Bertrand Grébaut (Septime), Inaki Aizpitarte (Le Chateaubriand), Romain Tischenko (Le Galopin), Pierre Sang Boyer (Pierre Sang in Oberkampf), Simone Tondo (Le Roseval)… et leurs tables électrisent un public élargi et rajeuni, aussi familier de la « cuisine d’auteur » que des festivals rock. Une nouvelle planète food tendance bobo-hipster, sans toque ni cravate, mais avec tatouage sous la chemise de bucheron – barbe de huit jours en option – qui chamboule la géographie de la table parisienne, avec ses étoilés dans les chics VIIe, VIIIe et XVIe arrondissements.

Une géographie chamboulée

De quoi redessiner en profondeur la géographie des tables de la capitale. « Aujourd’hui, on assiste à un rééquilibrage, une réorientation complète de Paris, à l’instar de ce qui s’est passé à Brooklyn ou dans l’East End londonien, se réjouit Nicolas Chatenier (observateur averti du petit monde des fourneaux). On a l’impression que tous les restos ouvrent dans ces quartiers là. Aujourd’hui, on peut ouvrir dans une rue un peu triste de l’est parisien et avoir un grand succès, par la force des médias, et surtout du bouche à oreille des foodies et des réseaux sociaux. Celui qui a amorcé le mouvement, en 2006, c’est Inaki Aizpitarte, en implantant son Chateaubriand dans une ancienne brasserie de l’avenue Parmentier entourée de kebabs, et en en faisant un temple de la gastronomie. Il est parvenu à proposer une cuisine étincelante dans un lieu vieillot » La même année, un autre chef décoiffant, Petter Nillson, investissait, lui, la Gazzetta, bistrot au cadre art déco près du marché d’Aligre, y envoyant des plats à haute intensité créative. « Petter comme Inaki ont réussi à créer un imaginaire assez fort pour que les gens traversent Paris pour aller manger chez eux. »

Pierre-Sang Boyer (Gambey) et Romain Tischenko (Le Galopin). © Jean-François Robert pour Télérama.fr
Pierre-Sang Boyer (Gambey) et Romain Tischenko (Le Galopin). © Jean-François Robert pour Télérama.fr

Implanté dans l’actuel épicentre de la hype culinaire parisienne, le Xe arrondissement, où il vient d’ouvrir sa troisième adresse, le restaurateur Charles Compagnon (L’Office, le Richer), enfonce le clou de cette modernité furieusement tendance : « Il faut rebattre un peu les cartes, le luxe, ce n’est pas forcément ce qu’on a connu pendant des années. Nous, on essaie de faire de la cuisine très bonne, sans lustre, sans cristal, mais à un prix accessible. »

Un radicalisme qui semble désormais devenue une mode, s’imposant comme un gimmick, voire un standard, dans certains quartiers du nord-est parisien… « Ce qui est un peu effrayant, c’est que deux adresses d’une même rue du 10e arrondissement, non seulement se ressemblent entre elles, mais ressemblent aussi aux adresses de Sidney, Brooklyn ou de l’east end londonien. On est face à une sorte internationale de la coolitude, pointe Gaudry. Et le chroniqueur gastronomique de souligner la frénésie quasi-hystérique de nouveauté qui souffle sur la planète food parisienne : « Il y a encore cinq ou six ans, j’arrivais à suivre toutes les ouvertures d’adresses dans la capitale. Aujourd’hui, je fais au minimum huit restaurants par semaine, et malgré ça, il y a des choses que je suis obligé de laisser de côté. Depuis deux ou trois ans, il y a une accélération que je trouve dingue. Et en même temps, toute cette agitation fait de Paris une ville énergique qui résiste à la morosité ambiante » .

©telerama